18 mai 2014

Portrait // John Randle [Vidéos]

Chronique d'un laissé pour compte

En cette semaine post-draft, à l'heure où ceux qui ont, en vain, attendu que leur nom soit appelé sèchent leurs larmes, c'est l'occasion de revenir sur l'un des joueurs les plus iconiques de l'histoire des Vikings. Le charismatique, fantasque et... non-drafté John Randle.

Derrière le strass et les paillettes du Radio City Music Hall de New York, se trouve une face sombre. Cachée. Ignorée. C’est celle des laissés pour compte. Car des centaines de joueurs à se présenter à la grande messe annuelle qu’est la draft, seule une poignée d’heureux élus aura la chance d’entendre son nom retentir. Les autres, les oubliés, les délaissés, auront attendu, en vain, pendant trois longues et interminables journées. Un cauchemar éveillé. L’angoisse laisse place à la déception, au doute, à la peur. Quel avenir ? Persévérer ? Se battre ? Poursuivre son rêve coûte que coûte ? Abandonner et envisager un autre avenir ? Un dilemme cornélien auquel, chaque année, sont confrontés des dizaines de joueurs, laissés de côté, non-draftés.

Seulement, ne pas être sélectionné le jour J, ou plutôt les trois jours J depuis que la NFL a décidé de faire durer le plaisir, ça n’est pas la fin du chemin. Pas nécessairement. Pour certains, c’est juste un obstacle de plus dans la poursuite leur rêve. Un chemin pavé d’embuches, dont seuls les plus persévérants sortent vainqueurs. Car beaucoup de ces jeunes joueurs non-sélectionnés vont découvrir les joies de la grande braderie post-draft, le marché aux joueurs non-repêchés. Ces illustres inconnus que l’on signe un jour et coupe la semaine suivante. Ces types qui passent l’été à sillonner le pays de part en part en espérant, tout simplement. C’est également, pour les franchises et leurs scouts, le moment de faire parler leur flaire, de dégoter la perle rare ; ce joueur jugé trop petit, trop frêle, en provenance d’une petite université confidentielle, au casier judiciaire déjà bien chargé ou aux antécédents médicaux lourds. Ces joueurs dont le sort semblait réglé d’avance. 

En somme, être sélectionné en tant que undrafted free agent, c'est un peu comme rater son bac, mais décrocher les rattrapages, in extremis. C’est se voir décerné une infime chance de montrer aux têtes pensantes de la NFL qu’elles ont eu tort. Tort de faire l’impasse sur vous. Infime, car nombreux sont ceux qui ne passeront pas les premières coupes. Et les plus téméraires échoueront probablement de justesse, butant dramatiquement sur la marche du cut des 53. La plus haute de toutes. La NFL, cet univers impitoyable…! Un parcours du combattant, mais pas une mission impossible. Être un joueur non-drafté, c’est passer par la petite porte. C’est franchir les étapes les unes après les autres. C’est jouer son avenir sur un été, pendant que les stars de la promo négocient leurs premiers millions de dollars. C’est se battre pour intégrer un roster final. C’est prouver aux recruteurs qu’ils se sont trompés ; après tout la draft n’est pas une science exacte (Ryan Leaf, Matt Leinart et autre Jamarcus Russell en sont les preuves vivantes). Être un joueur non-drafté, c’est avoir l’opportunité d’être un nouveau Kurt Warner, un nouveau Antonio Gates, un nouveau Arian Foster, un nouveau Vontaze Burfict. Un nouveau John Randle, véritable icône de la défense violette des années 90. Terreur des terrains, habité d’une énergie venue d’ailleurs. Un laissé pour compte qui a su prendre sa revanche. Pour le plus grand dam des quarterbacks.

Pauvreté et anonymat ou comment se forger un mental d'acier
John s'est encore vidé la boîte de cirage sur la tronche

Peinture noire dégoulinant sur le visage. Yeux écarquillés. Langue tirée. Muscles crispés. John Randle est possédé lorsqu’il enfile son uniforme. Comme si toute la frustration accumulée lors de la draft 1990 rejaillissait, explosait de tout son corps à chaque fois qu’il foulait le terrain. 

Élevé par une mère célibataire, dans une grande pauvreté, l'enfance de John Randle n'a rien d'un conte de fées. Alors qu'il est en dernière année au lycée, la petite famille loge dans une cabane. Avant d'arriver au secondaire, il n'a jamais enfilé un uniforme de football. Dans les pas de son grand frère, il intègre l'équipe de Hearne High School, au Texas, sa ville natale. Homme de ligne aussi bien en défense qu'en attaque, il est également membre de l'équipe d'athlétisme. À cause de mauvais résultats au SAT Reasoning Test, examen de référence pour l'admission à l'université, Randle est contraint de prendre la voie du Junior College. Adieu les grandes fac prestigieuses de la NCAA.

Après deux années passées au Trinity Valley Community College, il intègre Texas A&M-Kingsville, petite université évoluant en Division II. Là-bas, il va briller. En 1990, c'est auréolé d'un titre de Little All-America et un diplôme en sociologie en poche qu'il se présente à la draft. Mais lorsqu’il quitte les bancs de la fac, il est atteint de deux symptômes rédhibitoires : celui de la petite taille et celui de la petite université. Pour ne pas dire microscopique. En sortant de Texas A&I, il partait avec un handicap certains. Celui de la confidentialité, de l'absence de médiatisation, de l'anonymat. La route le menant à la NFL était loin d'être tracée d'avance. Les 22 et 23 avril, il va entendre 331 noms, énumérés un à un, mais pas le sien. Bienvenue dans le club des oubliés John! Pas le temps de s’apitoyer sur son sort, l'heure de la revanche à sonnée.

Direction la Floride, pour commencer, et les Buccaneers d'un certain Ervin Randle, son grand frère. L'essai sera de courte durée. Du haut de son mètre 85, le defensive tackle est jugé trop petit et ne convainc pas les coachs. Le fameux syndrome Valbuena. Première occasion manquée. La deuxième n'est pas plus concluante. Les Falcons le convoquent à des essais, mais renoncent à la signer, l'estimant hors de forme. La troisième sera la bonne. Une semaine après l'essai raté en Géorgie, les Vikings le convient au camp d'entraînement. Le charme opère. Visiblement séduite, la franchise du grand nord lui offre un contrat. Elle ne va pas le regretter.

De l'ombre à la lumière 

Propulsé dans le grand bain, il ne va pas tarder à exploser au grand jour. Après une première saison discrète au cours de laquelle il prend part à toutes les rencontres, mais ne collecte qu'un sack, Randle va appuyer sur l'accélérateur. En 1991, il débute 8 matchs et envoie 9,5 fois le quarterbacks goûter le gazon. Plus que son grand frère durant toute sa carrière. L'année suivante il s'installe au poste de titulaire. Pour longtemps. Très longtemps. 176 matchs plus tard, il règne toujours en maître au cœur de la ligne défensive violette.


Machine à sacks et à fumbles, il fait de la chasse aux passeurs sont passe-temps favoris. Véritable perce-muraille, détonateur, dynamiteur au milieu de la mêlée, il collectionne les plaquages sur les quarterbacks. Un defensive tackle pass rusher? Une denrée rare, une aubaine pour une défense. Un cauchemar pour les adversaires. De 1992 à 1999, il va enchaîner les saisons à plus de 10 sacks. Au terme de ses 11 années passées dans le Minnesota, le bilan est lourd : 420 plaquages, 114 sacks, 25 fumbles forcés, 35 matchs conclus avec plus de deux sacks dans la musette dont 8 avec 3 ou plus et des dizaines de quarterbacks traumatisés, marqués à vie. Sous les couleurs des Violets, il décroche 6 billets pour Hawaï et figure autant de fois dans l'équipe All-Pro. Summum de sa carrière, la saison 1997, ponctuée avec 15,5 sacks et 71 plaquages au compteur. Des faits d'armes qui lui valent de figurer dans l'équipe type des années 1990 et de rejoindre le Hall of Fame en 2010. Un moindre mal pour un joueur phénoménal et inimitable. Un miracle pour un laissé pour compte.

Plus que des chiffres et un tableau de chasse bien garni, Randle est un personnage à part entière. Exubérant. Excentrique. À la limite de l'hystérie parfois. À partir de 1996, ses performances prennent une autre dimension. Et ça n'est pas étranger à une nouvelle approche du jeu. Comme si ses qualités athlétiques ne suffisaient pas, il se met à aboyer sur les joueurs adverses, à les provoquer, les harceler sans relâche. Son rituel d'avant match également change et devient l'occasion de faire monter toute l'énergie qui l'habite. Dans tous les sens du terme, Randle est un joueur usant. Qui met les nerfs des attaquants à rude épreuve. Tellement que certaines équipes n'hésitent pas à lui mettre deux, voire trois, joueurs sur le dos pour tenter de le stopper. Peine perdue. Son enthousiasme débordant, son électricité sont communicatifs et servent de véritable moteur à l'ensemble de l'escouade défensive. Plus que des stats, il est un leader charismatique, une source d'inspiration.

Ça, c'est de l'amour
Brett Favre, une longe histoire d'amour

Des quarterbacks il en a connu des dizaines. Des histoires souvent tourmentées. Parfois longues, souvent brèves. Des relations tumultueuses, mais dont certaines ont su perdurer au fil des années. La plus marquante d'entre toutes, c'est celle qu'il a entretenue pendant près d'une décennie avec Brett Favre, le fantasque passeur des Emballeurs, adepte des tapes amicales sur le postérieur et petites taquineries bien senties. Les deux larrons étaient faits pour s'entendre. Quand deux grands blagueurs se rencontrent, gare aux étincelles.

Le 22 septembre 1996, John Randle réalise la meilleure performance de sa carrière. Et comme par hasard, sa victime du jour est son chouchou de toujours, Brett Favre. Au programme ce soir-là, 3,5 sacks et deux fumbles forcés. Harassés par le pass rusher, les Packers s'inclinent et les Vikings s'envolent vers un 4e succès en autant de rencontres. Le defensive tackle est élu joueur défensif de la semaine, puis du mois dans la NFC. De tous les quarterbacks qu'il a mis à terre, aucun n'aura autant goûté le gazon par sa faute que Brett. 13,5 fois pour être exact. Ce dernier le concède volontiers, Randle est le défenseur le plus redoutable qu'il ait jamais affronté, tout simplement "inarrêtable sur synthétique" selon les propres mots de la légende des Packers.

Une publicité est même venue immortaliser cette rivalité. Randle y pourchasse un poulet portant un maillot miniature de Brett Favre. Là encore, le résultat est le même. Le defensive tackle finit pas l'attraper et Chicken-Favre termine le journée à griller sur le barbecue. À l'entraînement, la défense des Purple & Gold s'en prend régulièrement à des mannequins floqués du maillot du #4. Peu importe que les Packers soient ou non l'adversaire du week-end.
 
Icône de la défense violette de 1998, personnage atypique, provocateur et enthousiaste, joueur infatigable, Randle brille également par son humour et son humilité.
"Je suis profondément ému par l'incroyable honneur qui m'est fait et que je n'aurais jamais cru possible. Je suis un gosse d'une petite ville dont le rêve est devenu réalité," déclarait-il après son entrée au Hall of Fame en 2010.
Alors que les laissés pour compte de la cuvée 2014 entament leur parcours du combattant pour tenter d'intégrer un effectif et de survivre aux multiples coupes, John Randle est un exemple. Au même titre que Kurt Warner, James Harrison, Wes Walker ou Warren Moon. La preuve que même l'un des tout meilleurs defensive tackles de l'histoire a pu se retrouver orphelin, sans équipe au dernier jour de la draft.

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