Chronique d'un laissé pour compte
En cette semaine post-draft, à l'heure où ceux qui ont, en vain, attendu que leur nom soit appelé sèchent leurs larmes, c'est l'occasion de revenir sur l'un des joueurs les plus iconiques de l'histoire des Vikings. Le charismatique, fantasque et... non-drafté John Randle.
Derrière le strass et les paillettes
du Radio City Music Hall de New York, se trouve une face sombre. Cachée. Ignorée.
C’est celle des laissés pour compte. Car des centaines de joueurs à se
présenter à la grande messe annuelle qu’est la draft, seule une poignée d’heureux
élus aura la chance d’entendre son nom retentir. Les autres, les oubliés, les
délaissés, auront attendu, en vain, pendant trois longues et interminables
journées. Un cauchemar éveillé. L’angoisse laisse place à la déception, au
doute, à la peur. Quel avenir ? Persévérer ? Se battre ?
Poursuivre son rêve coûte que coûte ? Abandonner et envisager un autre
avenir ? Un dilemme cornélien auquel, chaque année, sont confrontés des
dizaines de joueurs, laissés de côté, non-draftés.
Seulement, ne pas être
sélectionné le jour J, ou plutôt les trois jours J depuis que la NFL a décidé
de faire durer le plaisir, ça n’est pas la fin du chemin. Pas nécessairement.
Pour certains, c’est juste un obstacle de plus dans la poursuite leur rêve. Un
chemin pavé d’embuches, dont seuls les plus persévérants sortent vainqueurs.
Car beaucoup de ces jeunes joueurs non-sélectionnés vont découvrir les joies de la grande braderie
post-draft, le marché aux joueurs non-repêchés. Ces illustres inconnus que l’on
signe un jour et coupe la semaine suivante. Ces types qui passent l’été à
sillonner le pays de part en part en espérant, tout simplement. C’est également,
pour les franchises et leurs scouts, le moment de faire parler leur flaire, de
dégoter la perle rare ; ce joueur jugé trop petit, trop frêle, en
provenance d’une petite université confidentielle, au casier judiciaire déjà
bien chargé ou aux antécédents médicaux lourds. Ces joueurs dont le sort
semblait réglé d’avance.
En somme, être sélectionné en
tant que undrafted free agent, c'est un peu comme rater son bac, mais décrocher les rattrapages, in extremis. C’est se voir décerné une infime chance de
montrer aux têtes pensantes de la NFL qu’elles ont eu tort. Tort de faire l’impasse
sur vous. Infime, car nombreux sont ceux qui ne passeront pas les premières coupes.
Et les plus téméraires échoueront probablement de justesse, butant
dramatiquement sur la marche du cut
des 53. La plus haute de toutes. La NFL, cet univers impitoyable…! Un
parcours du combattant, mais pas une mission impossible. Être un joueur non-drafté, c’est passer par la petite porte. C’est franchir les étapes les unes
après les autres. C’est jouer son avenir sur un été, pendant que les stars de
la promo négocient leurs premiers millions de dollars. C’est se battre pour intégrer
un roster final. C’est prouver aux
recruteurs qu’ils se sont trompés ; après tout la draft n’est pas une
science exacte (Ryan Leaf, Matt Leinart et autre Jamarcus Russell en sont les
preuves vivantes). Être un joueur non-drafté, c’est avoir l’opportunité d’être
un nouveau Kurt Warner, un nouveau Antonio Gates, un nouveau Arian Foster, un nouveau
Vontaze Burfict. Un nouveau John Randle, véritable icône de la défense violette
des années 90. Terreur des terrains, habité d’une énergie venue d’ailleurs. Un
laissé pour compte qui a su prendre sa revanche. Pour le plus grand dam des
quarterbacks.
Pauvreté et anonymat ou comment se forger un mental d'acier
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John s'est encore vidé la boîte de cirage sur la tronche |
Peinture noire dégoulinant sur le visage. Yeux
écarquillés. Langue tirée. Muscles crispés. John Randle est possédé lorsqu’il
enfile son uniforme. Comme si toute la frustration accumulée lors de la draft 1990 rejaillissait, explosait de tout son corps à chaque fois qu’il foulait le terrain.
Élevé par une mère célibataire, dans une grande pauvreté, l'enfance de John Randle n'a rien d'un conte de fées. Alors qu'il est en dernière année au lycée, la petite famille loge dans une cabane. Avant d'arriver au secondaire, il n'a jamais enfilé un uniforme de football. Dans les pas de son grand frère, il intègre l'équipe de Hearne High School, au Texas, sa ville natale. Homme de ligne aussi bien en défense qu'en attaque, il est également membre de l'équipe d'athlétisme. À cause de mauvais résultats au SAT Reasoning Test, examen de référence pour l'admission à l'université, Randle est contraint de prendre la voie du Junior College. Adieu les grandes fac prestigieuses de la NCAA.
Après deux années passées au Trinity Valley Community College, il intègre Texas A&M-Kingsville, petite université évoluant en Division II. Là-bas, il va briller. En 1990, c'est auréolé d'un titre de Little All-America et un diplôme en sociologie en poche qu'il se présente à la draft. Mais lorsqu’il quitte les bancs de la fac, il est atteint de deux symptômes rédhibitoires : celui de la petite taille et celui de la petite université. Pour ne pas dire microscopique. En sortant de Texas A&I, il partait avec un handicap certains. Celui de la confidentialité, de l'absence de médiatisation, de l'anonymat. La route le menant à la NFL était loin d'être tracée d'avance. Les 22 et 23 avril, il va entendre 331 noms, énumérés un à un, mais pas le sien. Bienvenue dans le club des oubliés John! Pas le temps de s’apitoyer sur son sort, l'heure de la revanche à sonnée.